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J'ai un blog, ça y est je suis écrivain
15 janvier 2015

(#réminiscences) Des maisons

La mienne était dans un village, au milieu. Entre l'école et l'église.

Quatre chambres, un jardin, une balançoire, pas de piscine.

L'été, ça sentait le barbecue tous les week ends, l'hiver, l'herbe haute était trempée.

Je savais exactement sur quelle latte de plancher marcher pour ne pas réveiller tout le monde, la nuit. Je savais combien de secondes attendre pour que la douche à l'étage soit enfin chaude. Je savais que derrière le papier peint de la salle à manger il y avait un lapin géant dessiné par mon père. Je savais comment relever la clanche de la porte-fenêtre pour bien la fermer.

 

De ma chambre, je voyais la cour des voisins. Quand on a échangé, avec mon frère, je voyais la cour de l'école. Et l'église. Les gens, le dimanche, qui revenaient du pain.

Les plus cools habitaient dans le lotissement et venaient en voiture à l'école. Nous, on avait cette maison faite dans les mêmes pierres que l'église, l'école, la mairie, la poste. On appartenait au village.

J'avais installé mon bureau à côté de la fenêtre, la vue de trois-quarts. Quand je relevais la tête de mes papiers, je regardais la rue et je pensais au moment où je me libèrerais enfin de cette vue. En attendant, j'écrivais des autres gens dans d'autres maisons.

 

Je suis partie.

J'avais d'autres maisons. D'autres rituels.

Des éphémères. Des maisons de quelques mètres carrés, que j'adorais ou que je détestais. Je m'installais toujours, des photos, des petites guirlandes, des papiers.

Des autres vues, sur des autres gens qui revenaient du pain. Du bruit, enfin, quand j'ouvrais ma fenêtre. La musique que je voulais. Dans mes maisons à moi, il m'a fallu du temps pour réécouter Brassens.

 

Je suis partie, mais je revenais toujours. Les lattes du plancher, la clanche, tout ça, c'était encore là. L'odeur de cigarette, le claquement des chaussons dans l'escalier et la reconnaissance du moteur de la voiture qui passait le coin de la rue et nos réactions inquiètes au son de sa voix sont partis d'un coup avec mon père. Ca a foutu un vide monstrueux, mais on a continué. On parlait de ces murs qu'il avait démonté et rebâti, du carrelage qu'il avait posé le jour de la naissance de mon frère, de la terrasse qu'il avait terminé le jour des résultats du bac.

 

Que j'y rentre ou que j'en sorte, il y avait toujours un truc en route, dans cette maison. De la musique, une odeur émanant du four, des cris.

 

En la vidant, on n'était même pas triste. On a retrouvé des souvenirs qui vivaient encore. On a encore écouté de la musique, on a encore crié, on a encore joué, dévalé les escaliers, regardé par les fenêtres tous les morts qui revenaient du pain, fermé la porte-fenêtre en relevant la clanche, mangé des grillades sur la terrasse.

 

Et un jour, je suis revenue et elle était vide. Toute nue sans nous. J'ai fait un dernier tour de ma maison. J'avais presque 30 ans et peut être que la vie voulait me dire qu'il était temps de devenir adulte.

Ma maison, elle est dans celle que j'ai loué à Ouessant quelques jours plus tard après avoir vendu la nôtre, elle est dans le lit de ma fille que je réveille chaque matin, elle est dans les yeux de mon frère, dans les bras de mon amoureux, dans le cœur de ma mère.

 

 

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