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J'ai un blog, ça y est je suis écrivain

2 octobre 2015

(#réminiscences) A la pépinière

(Tu connais la pépinière, à Nancy ? C'est juste un parc, un chemin, des pelouses quoi. Pas de sortes d'arbres un peu rares ou poussant drôle. Tromperie, déjà. Nous on dit : « La Pep' ». Enfin, nous... Eux. La Pep', c'est la sortie du dimanche. Quand tu as du monde qui vient, après manger, tu vas à la Pep' et tu leur montre la place Stan' à la fin. C'est Stanislas, en vrai, mais personne ne le dit en entier non plus.

Dans mes souvenirs, il fait toujours froid à la Pep'.)

D'abord, le maillot de corps, bon, d'accord, parce que c'est en coton tout lisse, déjà élimé des cousins. Ensuite, avec de la chance, c'est la couche de molleton, un pull, peut être avec un bisounours. Et c'est avec le chandail que les choses se gâtent. Perfide chandail. La laine est comme hérissée, épaisse, elle transperce le molleton et le coton, à chaque mouvement que tu fais le pull t'agresse sauvagement. Imagine-toi porter un balai à chiottes en dessous de ton t-shirt et tu seras encore loin de la vérité. Dans le cou, ça peluche un peu et surtout l'effet de serre est inévitable car en plus du chandail à poils de mouton, tu auras LA CAGOULE. Le bonnet ayant lamentablement échoué au test du pouvoir couvrant, on t'a mis une chaussette pour tête. De couleur kaki pour les garçons et rose pastel passé pour les filles, elle se prend dans la fermeture éclair de ton blouson, qui est rarement très assorti, d'ailleurs. Sous l'effet de la sudation, elle roulote et ta nuque transpirante est maintenant à l'air, prête à accueillir le premier courant d'air avec bienveillance. Comme tu l'as hérité d'un cousin, encore, elle est un peu rèche, mais c'est un moindre problème. Elle est surtout un peu trop petite, te laissant des démarcations sur les joues et sur le front, sans oublier que, l'acrylique te collant aux oreilles, tu n'entendras bien sûr plus qu'avec parcimonie.

Engoncé de la sorte, tu es encouragé à gravir des motos rouges ou des toboggans en ferraille blanchie et on te poussera volontiers sur la balançoire, où chaque main affectueusement déposée dans ton dos te gifflera l'échine. Tu tenteras bien de soulager ton épiderme en te grattant avec insistance, mais rien n'y fera, le soulagement n'arrivera qu'avec la voix de ton oncle qui signifiera que bon, on va peut être partir, c'est pas tout mais on a de la route.

Ah, le tapis en jonc du salon! Tu te précipite dessus dès ton retour à la maison.L'odeur du pain perdu et le soulagement du peau à peau avec le jonc.

 

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15 janvier 2015

(#réminiscences) Des maisons

La mienne était dans un village, au milieu. Entre l'école et l'église.

Quatre chambres, un jardin, une balançoire, pas de piscine.

L'été, ça sentait le barbecue tous les week ends, l'hiver, l'herbe haute était trempée.

Je savais exactement sur quelle latte de plancher marcher pour ne pas réveiller tout le monde, la nuit. Je savais combien de secondes attendre pour que la douche à l'étage soit enfin chaude. Je savais que derrière le papier peint de la salle à manger il y avait un lapin géant dessiné par mon père. Je savais comment relever la clanche de la porte-fenêtre pour bien la fermer.

 

De ma chambre, je voyais la cour des voisins. Quand on a échangé, avec mon frère, je voyais la cour de l'école. Et l'église. Les gens, le dimanche, qui revenaient du pain.

Les plus cools habitaient dans le lotissement et venaient en voiture à l'école. Nous, on avait cette maison faite dans les mêmes pierres que l'église, l'école, la mairie, la poste. On appartenait au village.

J'avais installé mon bureau à côté de la fenêtre, la vue de trois-quarts. Quand je relevais la tête de mes papiers, je regardais la rue et je pensais au moment où je me libèrerais enfin de cette vue. En attendant, j'écrivais des autres gens dans d'autres maisons.

 

Je suis partie.

J'avais d'autres maisons. D'autres rituels.

Des éphémères. Des maisons de quelques mètres carrés, que j'adorais ou que je détestais. Je m'installais toujours, des photos, des petites guirlandes, des papiers.

Des autres vues, sur des autres gens qui revenaient du pain. Du bruit, enfin, quand j'ouvrais ma fenêtre. La musique que je voulais. Dans mes maisons à moi, il m'a fallu du temps pour réécouter Brassens.

 

Je suis partie, mais je revenais toujours. Les lattes du plancher, la clanche, tout ça, c'était encore là. L'odeur de cigarette, le claquement des chaussons dans l'escalier et la reconnaissance du moteur de la voiture qui passait le coin de la rue et nos réactions inquiètes au son de sa voix sont partis d'un coup avec mon père. Ca a foutu un vide monstrueux, mais on a continué. On parlait de ces murs qu'il avait démonté et rebâti, du carrelage qu'il avait posé le jour de la naissance de mon frère, de la terrasse qu'il avait terminé le jour des résultats du bac.

 

Que j'y rentre ou que j'en sorte, il y avait toujours un truc en route, dans cette maison. De la musique, une odeur émanant du four, des cris.

 

En la vidant, on n'était même pas triste. On a retrouvé des souvenirs qui vivaient encore. On a encore écouté de la musique, on a encore crié, on a encore joué, dévalé les escaliers, regardé par les fenêtres tous les morts qui revenaient du pain, fermé la porte-fenêtre en relevant la clanche, mangé des grillades sur la terrasse.

 

Et un jour, je suis revenue et elle était vide. Toute nue sans nous. J'ai fait un dernier tour de ma maison. J'avais presque 30 ans et peut être que la vie voulait me dire qu'il était temps de devenir adulte.

Ma maison, elle est dans celle que j'ai loué à Ouessant quelques jours plus tard après avoir vendu la nôtre, elle est dans le lit de ma fille que je réveille chaque matin, elle est dans les yeux de mon frère, dans les bras de mon amoureux, dans le cœur de ma mère.

 

 

18 octobre 2014

(#réminiscences) La lettre

Je sais pas tu sais, je l'avais écrit cette lettre et puis un jour, en rangeant avant de partir, je l'ai retrouvé. Ca voulait dire que tu l'avais jamais lu mais ça je m'en foutais, ça voulait surtout dire qu'à un moment j'avais pas eu le courage de te l'envoyer et ça m'a foutu la honte.

Mais je sais pas tu sais, comment j'aurais pu justement savoir que ça finirait comme ça, moche et sale, je pensais pas encore à l'humilation, à tes reproches et encore moins à tes coups de téléphone à 3h du mat', tu sais quand tu revenais de tes soirées de merde dans des salles des fêtes de merde dans des villages de merde et que tu disais que tu m'aimais.

Tu sais pas mais dans cette lettre je disais des trucs de fille de seize ans tu vois, à me relire si longtemps après j'ai honte aussi de tout ça. Pas d'avoir aimé et dis des choses comme ça mais d'avoir voulu te les dire à toi et de m'être souvent fait du mal à cause de toi ça oui.

Je sais pas, un jour tu es revenu et je ne t'aimais plus, je n'avais plus seize ans, je ne t'écrivais plus de lettre parce que j'avais compris que de toute façon tu ne savais pas les lire comme il fallait.

Mais tu sais pas, cette phrase que tu m'avais dit à la fin d'une fête de merde dans un village de merde, quand tu m'avais dit que tu m'aimais pas, qu'un jour peut être tu m'aimerais et que je t'avais répondu que ça serait peut être trop tard, t'aurais pas imaginé à quel point t'allais la regretter. C'est toi qui m'a rendue dure comme de la pierre à seize ans, fallait pas s'étonner que je te fasse autant de mal à dix-huit.

17 juillet 2014

(#réminiscences) La pluie, le vent, le froid et Miossec

On se souvient de certaines chansons, mais on a certaines voix qui ne sont jamais parties.

Celle de mon père, que je m'efforce de me rappeler en me concentrant (de plus en plus profondément) quelques minutes chaque jour pour ne pas l'oublier.

Celle de ma prof de primaire, qui résonne encore quand je sens de l'ironie dans le ton de mon interlocuteur.

Celle de mon ancien amoureux belge et ses « mais noooon » qui trainaient.

Celles de mes cousines lorraines, quand on était petits, avec mon frère, on était jaloux de cet accent un peu vulgaire et trop prononcé, on voulait avoir le même, alors parfois on essayait, mais c'était assez insupportable pour mon père qui, lui, tentait de perdre le sien depuis vingt ans.

Et celles de certains chanteurs bien sûr.

Georges Brassens, Jean Ferrat, Maxime Le Forestier, Cat Stevens. Même quand je les écoute en HD, j'ai toujours le bruit du sillon du lecteur vinyle de chez mes parents qui me parvient.

Quand j'avais 17 ans, je n'arrivais pas à dormir sans que Bertrand Cantat s'énerve dans mes oreilles.

Yann Tiersen est venu un tout petit peu plus tard. Ses mélodies et son timbre tout timide sont évidemment éternellement associé à mes « travellings en train ». Le paysage qui défile à fond devant mes yeux, parfois entravé par mon reflet dans la vitre. Les habitudes, les Châlons-Metz, les London-Stevenage, les Paris-Brest. Des symphonies rassurantes.

Jacques Brel, tardivement. Inévitablement associé aux soirées sans fin d'un bureau brestois rempli de bandes-dessinées, d'histoires et de vin rouge.

Et celle de Mano Solo ! En filant dans tes tympans, il t'arrache le cœur.

Je suis fidèle aux voix, pour tant de raisons.

Et malgré tout, je continue d'écouter Miossec.

Ma voisine de chambre, à l'internat du lycée à Reims, avait eu le disque un peu par hasard. Je haissais. C'était devenu épidermique, presque. Je lui en ai voulu. Le disque de Miossec, notre box avec le lit, l'armoire, le bureau. Et cette putain de fenêtre avec vue sur le bâtiment d'en face, gris, gris, gris, le ciel aussi et quand elle mettait Miossec il pleuvait. Miossec la pluie. Et quand j'ai fini par aimer un peu, quand j'ai enregistré Le chien mouillé sur une cassette, il pleuvait quand je l'écoutais sur mon walkman. Traverser le quartier Saint-Rémi, quand il pleut, quand il vente, quand ça caille et que tu écoutes Miossec, à 16 ans, c'est que tu aimes entretenir ton mal-être adolescent, évidemment. Mais sur le moment tu t'en fous tu sais pas ce que c'est tu sais juste qu'il pleut et que tu as un peu envie de mourir.

Je n'ai plus pensé à Miossec ni au mal-être adolescent pendant longtemps. Et quand je suis partie quelques semaines à Brest finir l'écriture d'Errances, ça m'a repris. Peut être parce qu'il est de là-bas, peut être parce que j'avais besoin de réécouter cette voix un peu arrogante et ces textes agressifs. Ca m'a repris, la pluie, le vent, le froid et Miossec. Mais Saint-Martin, c'était pas Saint-Rémi, j'avais presque dix ans de plus, je ne connaissais pas les codes de cette ville ni de cette vie-là, il était beaucoup plus tard ou bien beaucoup plus tôt.

 

C'était bien d'avoir dix ans de plus, la pluie, le vent, le froid, Miossec et le besoin de s'arrêter tous les 100 mètres pour devoir écrire une ligne ou deux et d'y arriver, enfin.

 

La voix de Miossec, c'est comme un copain qui te guide sans te montrer le droit chemin.

 

N'empêche, quand j'écoute Miossec, je pense à ces kilomètres avalés sous la pluie, le chemin entre les deux quartiers et celui qui reste à faire et je relève la tête.

 

 

16 juin 2014

(#dans la ville du vent; #réminiscences) LE CHERCHER

Je suis attablée à côté, j'ai demandé un ice-tea, c'est n'importe quoi, je bois jamais d'ice-tea, je n'aime pas ça. C'était juste le premier truc que j'ai vu, derrière le comptoir, il me fallait juste une bonne excuse pour m'assoir en terrasse. Devant moi, le bal des autocars pour Quimper, Landerneau et même Brignogan, tiens. Mais il est clair que je ne suis pas venue là pour admirer la vue.

J'en reconnais un ou deux, des piliers du centre commercial de la rue Jean-Jau. C'est le Coat-ar-Guéven, mais même moi je sais qu'on l'appelle le squat-ar-Guéven, même si ça traine moins depuis le tram. J'ai ma capuche, mon casque, mes lunettes de soleil. Personne ne me connait plus, mais il suffit que D. ou un autre de la bande du Royal passe pour qu'il soit au courant.

Le matin, pourtant, normalement, il vient là. Il boit un café, parfois il achète le journal à la gare, puis il remonte et l'après midi, deux fois par semaine, il va au caarud. Son emploi du temps ne laisse pas beaucoup de place à la spontanéité, alors quand il m'avait fait son laïus sur mes horaires et mon manque de liberté, c'est là que j'avais décidé de mettre ma veste et de partir.

J'étais revenue, j'étais passée voir au squat mais la porte du bas était fermée, cette fois. Retour dans les rues, place Guérin bien sûr, le Royal, la Plage, mais rien. Au Saint-Michel non plus. J'allais redescendre vers Recouvrance et je l'ai vu, attablé à la terrasse d'un PMU, le nez dans le Télégramme du jour. Je me suis assise et il s'est passé au moins deux minutes avant qu'il plante ses yeux tout mélancoliques dans les miens. Sans parler. J'avais envie de lui arracher son journal, un peu comme lui faire une scène. Il avait perdu son portable. Il avait déménagé. Il avait enfin décidé de ne plus suivre les humeurs de sa copine absente. Super, j'ai dit, là je dois y aller mais je passe chez toi ce soir alors. J'étais soulagée, il semblait aller bien, si ce n'était cette diction toujours si lente.

Le soir, donc, je suis passée. Et c'est là qu'il s'est mis à me descendre, à me parler de la liberté. Ouais, c'est sûr, toi, t'es vraiment plus libre que moi, la preuve, combien de temps ça fait que t'as pas quitté la ville parce que tu dois voir le doc tous les quinze jours pour ton traitement ? Oh oui, c'était violent. Moche, facile, mesquin. Mais pas injustifié. En courant dans la rue pour pas qu'il me rattrape avec sa lame dans la main, je refaisais le film de notre amitié et à quel point il avait été manipulateur, depuis le début, à exploiter n'importe quelle faille que je lui confiais.

C'est à tout ça que je pense, à cette terrasse du kebab de la gare routière, en attendant de trouver le courage de rentrer au point Kerros. Je repense au squat, à l'ennui, à la rue, à la nuit, au danger, à la tristesse, à la came bien sûr, aux questions et aux réponses.

C'est une fille de mon âge qui était de permanence, une fille toute douce qui m'a d'abord demandé si je voulais un café. Quand je lui ai parlé de lui, elle m'a dit tu sais c'est anonyme ici, j'ai dit je sais mais juste est ce qu'il est toujours dans le coin ? Ca faisait un bout de temps qu'il était pas venu là, en tout cas. Si j'étais une amie ? Probablement non, finalement. 

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12 juin 2014

(#réminiscences) Grande rue

Du plus loin que je me souvienne, la mère Guichard a toujours vécu dans sa baraque aux volets verts, au 32 de la Grande rue de mon village. Baraque, oui, parce qu'on peut pas vraiment appeler ça une maison, le toit est en tôle et la porte, on dirait la devanture d'un magasin pendant la guerre, je sais pas si elle est au courant. Quand je la croise, je lui dit bonjour et je fais semblant de pas savoir qu'elle sait que c'est moi qui sonne à sa porte avant de m'enfuir en courant à toutes les fêtes nationales. Mais la mère Guichard, elle m'aime bien, elle dit rien, elle sourit encore et quand elle fait ça, on voit même plus ses yeux derrière ses lunettes, elle les plisse et ils se ferment, mais ça lui fait un de ses visages ! T'as l'impression qu'elle pourrait sauver la Terre entière de toutes les saloperies possibles, avec une face comme ça, toute lisse, toute ronde, avalée par son sourire et ses yeux fermés.

Le matin, tous les matins, elle va à la boulangerie avec sa carriole, parce qu'après le pain, elle va voir son mari, elle va fleurir sa tombe au cimetière et elle a toujours deux-trois pots de fleurs à changer. Elle est devenue plus petite au fil des ans, y'a bien longtemps que je la dépasse, quand je prend un centimètre, elle en perd deux, la mère Guichard. C'est la petite dame qu'on voit de loin, les deux mains dans le dos, sur le manche de la carriole. Avant, elle mettait aussi son chien dedans, mais le fils du maire l'a écrasé un soir en revenant du tennis. L'après midi, elle reste chez elle, surtout l'été parce qu'il fait trop chaud, la Grande rue est en plein soleil. Quand on passe assez près de la drôle de fenêtre, on entend le générique de TF1 qui annonce le film. Ses petits-enfants lui enregistrent les films du soir et lui filent la vhs quelques jours après, elle est pas du genre à regarder les séries de l'après midi, la mère Guichard. Ses petits-enfants, je les connais, ils ont tous des prénoms américains genre Calvin ou Stacy et ils vont à l'école en ville, parce que l'école du village, c'est bon pour les petits pouilleux comme nous, par pour des gosses avec des prénoms de personnages de séries de l'après midi.

Aujourd'hui, la mère Guichard a mis son chapeau vert, assorti à ses volets, pour le coup. On s'est un peu moqué d'elle, quand elle est sorti au moment où on passait avec la bande en rollers. Elle a lancé « salut la jeunesse ! », c'était ringard mais joyeux, elle a regardé une dernière fois la Grande rue, elle a fermé les volets et on ne l'a jamais revu.

9 juin 2014

(#dans la ville du vent): Saint-Martin

La place est vide, pour une fois. Hichame n'est même plus là avec la tarée. Les boulistes sont venus cet après midi, il y a des petits trous dans le sable et juste à côté, les merdes des chiens de punkachiens pas ramassées. Ca a du encore gueuler. Hichame n'est vraiment pas là. Je veux rentrer, maintenant. La tête à l'envers avec la tarée la nuit dernière, ça m'a suffit, ce soir j'ai froid de fatigue et Hichame est introuvable. Ils ont fini par fermer le passage vers l'autre place. Avec des tôles déjà toutes taguées, dégueulasses. Il faut faire le détour par les rues mais ils ont raison, c'est plus sûr, plus d'aiguilles par terre, elles se cachent dans les cours d'immeubles, au moins, on ne les voit plus, qu'ils ont du penser. Donc, les rues quoi. Ces maisons grises qui virent au jaune à la faveur des lampadaires. Là, c'est chez Martine, la vieille. Là, c'est chez Mattéo et en dessous, c'est chez Cédric mais on n'y va plus depuis longtemps. Je tire à nouveau sur la laisse. Au 15, c'est chez les jumeaux et leur connard de frère, ça hurle encore à cette heure-ci, ensuite, à trois portes de là vivent Alice et Sven et enfin, je passe devant l'antre de Raphaël. Pas de lumières.

La communauté, qu'ils disent. La communauté des crèves-thunes, ouais, parce que tout le monde croit qu'on est solidaire ou quoi ? Ton voisin est solidaire, ça oui, quand il vient d'emprunter deux-trois plaquettes quand t'es pas là. Tes copains sont solidaires pour t'inviter à boire du rosé en cubi dans des verres en plastique à trois heures de l'après midi pour te dire du mal de ton frère. La stagiaire du centre social est solidaire quand elle te fait des clins d'oeil quand tu viens laver ton linge deux fois par mois. La communauté du bout du monde de la France, là où tu viens mais d'où tu ne repars jamais, fin du train, fin de la balade, t'y es, t'y reste. La tarée, ça fait trois ans qu'elle a pas quitté le centre ville, son quadrilatère par défaut et cette place comme épicentre. 

Les trois heures du matin que sonnent la vieille église au clocher de pierre me réveillent de ma torpeur mélancolique. Hichame est nulle part, Saint-Martin l'a tué ce soir. 

5 juin 2014

(#réminiscences) Le lay-up (à Pauline N.)

Il a dit ça comme ça, j'y vais. Patrick l'a regardé quitter la pièce et m'a dévisagé, prêt à me retenir si jamais l'envie d'enjamber le garde-corps de la fenêtre me devenait trop forte. Mais j'avais envie de lui faire du mal, pas de me tuer.

J'entendais les bombes s'entrechoquer entre elles dans les poches de son grand manteau kaki, celui que je lui avait offert l'hiver dernier quand ça caillait trop. Ce bruit familier des bombonnes qui s'éloignent avec lui, dans son sillage. La porte qui claque dans un bruit sourd, à cause de la mousse qu'on a collé à l'huisserie pour qu'enfin ça ferme.

Patrick m'expliquait qu'il allait à Montparnasse, que c'était pas un quartier pour les filles, qu'on pouvait pas y aller en crew parce que les mecs sortaient les chiens depuis quelques temps, ordre de la SNCF. Ludwig ne changerait jamais de spot, le lay-up de l'ouest, ce kilomètre carré où se garaient les trains en attendant de partir voir la mer, c'était chez lui. A Montparnasse, on avait déjà eu des problèmes et puis on était loin d'être les seuls à graffer là.

Depuis quelques temps, quelques semaines, peut être quelques mois, Ludwig ne me parlait plus. Je le voyais ranger ses bombonnes sur la palette qui nous servait de table basse, ça me rendait dingue, cette façon qu'il avait avant tout de déplacer les bières pour les déposer avec soin, avec déférence, presque. Avec Patrick, on le regardait faire, c'était ritualisé, ensuite il prenait une bande dessinée qu'il venait de chourrer à la Fnac des Ternes, son autre terrain de jeu, il lisait, on n'existait plus. Hors champs, ou flou, tout au mieux. Ludwig vivait dans un clip en noir et blanc au ralenti où seul son graff le ramenait à la vie.

Cette nuit là, c'est encore Patrick qui me l'a raconté. Ludwig était seul, pour une fois, au lay-up. Un train de banlieue tout gris, un boulevard. Il a commencé son freestyle, l'orchestre des bombonnes, sa symphonie préférée. Il dessinait toujours avec son casque sur les oreilles, il disait que les mecs de la sécurité, ils les sentaient de toute façon arriver de loin. Cette nuit là, il devait sacrément avoir le nez dans le spray, parce qu'il n'a rien senti du tout et il attendu d'avoir une machoire de dobermann dans le mollet pour commencer à courir. Tellement, tellement vite que la locomotive en manœuvre l'a heurté en plein vol. Et les bombes sont retombées dans une symphonie jamais entendue.

4 juin 2014

(#réminiscences) Je m'emmêlais déjà les crayons

 *

En sixième 

Dictée chiante et rédaction libre sur les premiers jours au collège, tout compte pour le concours, je m'applique je me relis je n'en dors plus puis j'oublie. Un jour, on nous rend nos dictées, ma copine et moi nous partageons la meilleure note. (1 mètre 35 et bonne en orthographe, tu vois un peu le tableau. Heureusement je n'avais pas de lunettes à l'époque) Le rendu de la rédaction est tellement tardif, entre temps il y a eu les vacances et on est allés chez ma grand-mère comme d'habitude et peut être aussi que c'était Pâques, mais un jour la prof arrive et je reconnais les copies. Elle les donne à tout le monde, sauf à moi. Et là, devant ma copine et le reste de la classe, elle annonce que j'ai eu la meilleure note de l'école et que je vais recevoir un prix à la réception samedi prochain parce que je suis troisième départementale et qu'on peut bien m'applaudir. Elle croyait bien faire, sans savoir ce qui se passait dans mon tout petit corps, du chaud, du froid, ça gratte et ça bourdonne. Quand je raconte oh la la la honte que j'ai eu, hein, à mes parents, je me fais engueuler, c'est quand même remarquable à mon âge, un prix d'écriture. A la réception, ma mère me dit de me tenir droite et de remercier ma prof quand je reçois mes livres. Le sous-préfet me fait la bise et on rentre. Ma copine se vengera deux ans plus tard en me volant un exposé sur notre séjour en Angleterre.

*

En cinquième

 

_ Mais ça raconte quoi, ton truc ?

_ T'as qu'à lire !

_ Mais y'a au moins 20 pages !

_ Tu veux écrire avec moi et tu veux pas lire 20 pages !

_ Moi je veux bien lire !

_ Toi le gros, on t'as pas sonné !

_ T'es obligée de lui parler comme ça ?

_ Bah quoi, on s'en fout de son avis !

_ Qu'est ce que t'en sais !

_ Tu préfères l'avis d'un gros que personne n'aime plutôt que le mien ?

_ Le gros il t'emmerde et il sait lire, lui au moins !

_ Ben t'as qu'à écrire avec lui, tiens !

 C'est ainsi que je n'ai donc jamais écrit de livre avec ma meilleure amie de cinquième. Ni même avec le gros de la classe, qui ne s'intéressait qu'aux mangas.

*

En quatrième 

C'était pendant un cours d'allemand, en plus. Le cours de fin d'après midi, avant de rentrer chez toi, quand tu penses plus qu'à manger des gateaux devant Hartley cœurs à vif. La torpeur de la salle du deuxième étage. Ja, ich bin euh auslander und euh euh ich spr... SPLASH. Oder : SPLASCHHHH, peut être. Mon stylo a pété. Deux morceaux, chaque main le sien. De l'encre sur mes doigts, sur mon cahier, sur ma table, sur mon t-shirt et même sur ma bouche. Mon cœur saigne du bleu partout, ça dégouline et je viens d'en avaler. J'ai une chanson dramatique dans la tête, la b.o d'un film où le héros se barre à la fin, probablement, et les copains rigolent de bon cœur, j'ai l'air d'un clown surpris de sa propre blague. La chancelière arrive, le brushing tellement impeccable qu'il ne bouge même pas quand elle me dit, de la voix la plus froide que j'ai jamais entendue : MADEMOISELLE, JAMAIS VOUS NE SAUREZ ECRIRE CONVENABLEMENT. 

*

En troisième

 Le dormeur du val. Moi, j'en ai pas dormi de la nuit. De savoir qu'un plouc des Ardennes pouvait écrire des choses pareilles, à 17 ans en plus, ça m'a retourné. Rimbaud, je l'ai toujours appelé Arthur, comme un copain, ou plutôt comme un grand frère qui m'aurait tout appris, moi, la plouc de la Marne. La beauté, la violence, la beauté de la violence et la violence de la beauté, Arthur, je lui dois cher. Dans ma classe, ils avaient tous des t-shirts de leur groupe préféré, moi j'avais un pin's sur mon chapeau beige. Je suis passée des boys bands à Arthur Rimbaud, sans sourciller. C'est la prof de français, un matin de printemps, qui va faire coïncider ma part de midinette à boutons avec celle, naissante, de petite chose sensible à la poésie : elle nous passe le film sur Rimbaud et Verlaine avec mon second héros de l'époque, Leonardo di Caprio, tu parles d'un événement. Ca valdingue dans l'ordre établi de mon petit cœur de 14 ans. Je bouffe du Rimbaud et du Verlaine matin, midi et soir. J'ai beaucoup oublié. Mais je me souviens de la fièvre qu'Arthur me mettait, de la force que le pin's me donnait, de m'être battue avec ce connard à grosses joues en lui citant des vers que je ne comprenais finalement qu'à peine. Deux ans plus tard, j'ai perdu mon pin's et j'ai eu une misérable histoire d'amour avec un véritable plouc des Ardennes à qui, aujourd'hui encore, je ferais bien deux trous rouges au côté droit.  

3 juin 2014

(#Tous les garçons et les filles) ALEX

La première fois, j'avais presque vingt et un an. Il avait voulu que je garde la robe. C'était celle qui s'ouvre dans le dos, il a lentement tiré sur la fermeture dorée. De dos, c'était bien, il ne pouvait pas voir mes yeux grand ouverts de trouille, celle, délicieuse de sentir enfin ce que je cherchais depuis si longtemps. Il a soulevé mes cheveux et il a embrassé ma nuque, caressé mes épaules et, enfin, je ne les trouvais plus trop larges ni trop étroites, elles étaient comme il fallait sous ses mains. Sous la robe, c'était mon corps, mon torse tout plat, et il a aimé ça. Je n'étais plus un homme et pas une femme non plus, il a aimé ça.

 

Il est resté et le jour d'après aussi. 410 jours et 411 nuits, c'est lui qui a compté et c'est lui qui est parti parce que je ne voulais pas être complètement une fille.

 

Je voulais tout. Les caresses dans le cou, les robes et ma bite. Des cheveux longs à relever avec des baguettes, des bretelles de débardeur en dentelle qui tombent sur des bras striés de poils, du vernis turquoise et des boxers à rayures.

 

A vingt quatre ans, je me suis présenté à l'agence et j'ai dit que je m'appelais Alexandre. J'ai été embauché en costume. Certains m'ont dragué, certaines aussi. J'ai fait le fier, comme d'habitude. Même avec mon costume qui me donnait dix ans de plus, même avec ce pantalon vert censé me donner un air plus cool, j'avais l'air d'un con, j'avais l'air d'un mec. Je continuais d'échanger constamment mes fringues avec Mila, qui devait bosser en fille. Fréquemment, elle me tachait mes chemises ou m'élargissait mes pantalons, jamais pu rivaliser avec ses hanches de déesses grecque.

 

Je voulais tout et j'ai voulu Charlie.

Il a dit oui, il a dit plein de choses.

Il a vu la robe, il n'a rien dit.

Il a caressé ma nuque aussi.

Et puis ses bras, et puis sa langue.

Et le poing de l'autre sous mon œil et Charlie n'a encore rien dit.

J'ai repensé à mes vingt et un ans et à légereté de bander sous une robe pendant que Mila me passait de l'alcool sur le visage et j'ai pleuré de trouille, celle, poisseuse, que je craignais depuis si longtemps. 

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